La sorcière de San Salvadour - Hyères (83)

Légende Locale : L'histoire se passait il y a très longtemps, de nombreux siècles avant notre ère chrétienne. Le pays était alors inculte et presque désert. Dans une caverne du Mont des Oiseaux vivait une très vieille femme, presque centenaire. Elle avait pour compagne une jeune fille extrêmement jolie qui prenait soin d’elle. Cette dernière, douée d’une voix merveilleuse et d’une grande bonté, avait apprivoisé la gent ailée qui l’entourait et ne la quittait guère. Et tout le jour la caverne et ses abords retentissaient des refrains de la fille et du chant des oiseaux.

Un jour, Messire Satan, passant par là, entendit et vit la fille et, séduit par sa beauté, la désira. Il la demanda à la vieille, celle-ci refusa avec indignation. Le Diable propose alors : " Si tu me donnes cette fille, moi je te donnerai pouvoir absolu sur cette montagne et ses alentours, ainsi que sur tous ceux qui viendraient y demeurer ! ". " Beau cadeau vraiment ! J’ai presque cent ans et vais bientôt mourir ! " répondit la vieille dame. "Et bien je te donnerais en plus l’immortalité ! " répond le Diable.

Eblouie, la vieille en se détournant poussa la pauvre enfant dans les bras du Diable et s’enfuit, tandis que retentissaient dans un fourré les cris de la fille. Avec un grand bruit d’ailes froissées, des millions d’oiseaux s’élevèrent de tous les buissons et jetant des cris perçants, tournèrent un instant et disparurent au loin. Et jamais plus un oiseau ne se posa sur la cime maudite. Et depuis, la femme vécut, farouche et solitaire, dans sa caverne silencieuse, sans plus vieillir, entretenant sur un autel de pierre un feu ardent en hommage a son démoniaque protecteur.

Un jour, une flotille apparaît au loin sur la mer. Séduit par l’abri profond qu’offre l’anse et par la fertilité apparente du pays, le chef fait jeter l’ancre. C’est un groupe d'émigrants égyptiens qui fuyant des années consécutives de famine, cherche une base pour s’établir. Constructions légères, défrichement du terrain, bientôt le sol est prêt à recevoir les précieuses graines de froment, espoir de la cité future. Alors apparaît la sorcière. Elle vient au chef des Egyptiens et le persuade que pour prospérer et rapporter au centuple toute la semence doit recevoir la bénédiction du Dieu qui les protège. Les sacs sont donc portés processionnellement jusqu’à la caverne où se trouve l'autel. Puis, sous prétexte de rites secrets elle ordonne de la laisser seule. Et cette nuit là, à la grande joie des crédules, la flamme s’élève plus brillante et plus haute que jamais. C’est que dans son repère toute la nuit, la vieille expose la graine à la chaleur d’un feu ardent. Au matin, les Egyptiens reviennent chercher les sacs. Semailles attente, rien ne germa. La graine stérilisée par la chaleur pourrit sous terre. La colonie naissante menacée par une famine affreuse regagna ses navires et partit à a recherche d’une terre plus hospitalière. La sylve reconquit les terres défrichées, les constructions tombèrent en ruines et la sorcière retrouva son isolement mais cessa d'entretenir le feu pour plus de discrétion.

Au 5ème siècle avant Jésus Christ, une colonie phocéenne venant de Massilia et recherchant un mouillage bien abrité le long de la côte s’établit à son tour sur l’emplacement de San Salvadour. Cette fois le groupe était riche et puissant. Marseille et son ravitaillement proche. Le stratagème précédent ne pouvait être renouvelé avec profit. La sorcière s’arme de patience, les laisse s’installer. Une ville entière s’élève, des plantations apparaisent. Alors jugeant le moment venu, la vieille va de village en village, y recrute un groupe des plus belles courtisanes, et les lance dans la cité. Au travail acharné succèdent bientôt l’orgie et la débauche. Des factions divisent les colons pour la possession de ces femmes, et une nuit au cours d’un banquet monstre où le vin coule à flots, les deux principaux notables de la cité, l’esprit enfiévré par les propos venimeux de la vieille se défient et s’entretuent A leur suite, les partisans respectifs lèvent les armes les uns contre les autres. Au vin succède le sang. Un massacre épouvantable suit pendant lequel l’horrible femme brandissant un flambeau met le feu à toute la ville. Au matin il n’y a plus que les murs calcinés et des tas de cendres recouvrant des monceaux de cadavres. Et le silence et la solitude régnèrent à nouveau sur San Salvadour.

Vint l’époque de la conquête romaine et la pacification sous les ordres de Marius en 102 avant J. C. Pendant sa longue et bienfaisante période de la « paix romaine » au 1er siècle de notre ère les villes et les ports se multiplient sur toute la côte. La situation privilégiée de San Salvadour attire à nouveau l’attention des conquérants. Une ville importante s’élève : Pomponiana, précédée d’un port bien aménagé : Olbia, ville étendue, avec des temples, des thermes, un forum, un aqueduc. Port aux installations perfectionnées, aux larges quais pavés de mosaïques. La vieille, la rage au cœur, voit ces constructions nouvelles qui surgissent de terre, ces villas qui empiètent même sur la base du Mont des Oiseaux, son domaine. À bout d’expédients, elle fait appel à son maître infernal. « Prends patience, répond celui-ci, ne t’ai-je pas promis réalisation de tes désirs sur tout ce pays ? » L’été passe. Voici les jours de l’équinoxe. Et, une nuit d’épouvante, un ras de marée submerge le port, tandis qu’un tremblement de terre détruit la ville et ensevelit ses habitants sous les décombres.

Au 9ème siècle, après le règne de Charlemagne, le démembrement de l’empire carolingien causa une période d’anarchie. Les envahisseurs en profitent. Dans le Midi, les incursions sarraslnes se multiplient. Une tentative d’instalation à San Salvadour n’eut pas plus de succès que les précédentes. Il n’en reste que le nom de la plage voisine : Almanarre (le phare) et quelques poteries arabes au musée de Hyères. Enfin, en 989 utilisant pour monter ses murs les pierres de l’Olbia romaine, un monastère bénédictin s’érige. Chapelle, cloître, bâtiments couventuels couvrent bientôt la base de la colline. Et notre sorcière guettant de sa caverne cherche haineusement le moyen de se débarrasser de ces nouveaux ennemis. A tous ces hommes qu’opposer, sinon la femme ? Quelque temps après l’installation des moines, elle se présente au couvent et y obtient l’hospitalité. Elle persuade vite le prieur que les travaux matériels du couvent sont indignes de lui et de ses frères, consacrés à la prière et à la méditation. En conséquence, le prieur la charge de trouver quelques servantes. Ce fut vite fait. Toulon succédant à Telo Martius n’était pas loin où les hétaïres avaient fait place aux ribaudes. Le désordre règne bientôt dans le couvent et un jour le prieur apprend avec effroi que l’une des servantes, grosse de ses œuvres, va être mère. Le pauvre homme est affolé. N’osant se confier à ses frères, il en parle à son astucieuse confidente. Celle-ci sait si bien le convaincre qu’il en arrive à admettre avec elle que, pour effacer sa faute et la souillure, il doit renouveler le sacrifice d'Abraham. Et un jour de fête, les paysans des environs sont rassemblés dans la chapelle du couvent et assistent au Saint Sacrifice. Le prieur, très pâle, officie. Au moment de la consécration, les assistants le voient avec épouvante saisir un bébé nouveau-né qu’il dissimulait sous sa chasuble, le poser au milieu de l’autel et lui planter un poignard dans le corps. Un long cri. horrifié s’élève des rangs des paysans. Les femmes s’enfuient tandis que les hommes, indignés, se jettent sur lui et le massacrent sur les marches de l’autel, mêlant le sang du père criminel à celui de l'enfant innocent. Pour effacer un tel sacrilège, le monastère fut rasé par ordre du roi : Hugues Capet. Les ruines exorcicées et les religieux dispersés aux quatre coins de la France, mais le lieu garda mauvaise réputation. L’histoire, grossie par la transmission orale, créa autour de San Salvadour une zone de crainte et de solitude. Les quelques tentatives d’occupation suivantes ne marquèrent pas dans la chronique locale.

Il faut sauter jusqu’au siècle dernier pour que le récit continue et là, la chose devient plus troublante car il ne s’agit plus de légendes difficilement vérifiables mais de faits archivés et vérifiables et on va découvrir une incroyable série de malchance. Au printemps de 1869, l’impératrice Eugénie visite la Côte d’Azur au renom alors grandissant. Elle est accompagnée de l'académicien Prosper Mérimée. Gravissant les premières pentes du Mont des Oiseaux, elle est séduite par ce panorama unique et définitivement conquise. Elle ordonne immédiatement l'achat du terrain environnant. Alors une vieille femme en haillons, courbée, décrépie, surgit d'un buisson et, fendant la suite impériale figée de stupeur, s'avance vers l'auguste visiteuse : « Majesté, tu es puissante, tu es riche, tu as toute la France à ta disposition. Moi Je suis seule, pauvre et vieille. Mais ce domaine est le mien et si tu passes outre, il t’arrivera malheur ! » Mérimée qui se trouve tout près veut s'interposer et écarter cette folle. « Toi, tu es un méchant. Tu seras puni avant un an. » Ayant proféré cette menace, la vieille s'éloigne en grommelant. Personne ne parvient à identifier cette vieille si insolente. Mais ce qui est sur c'est que Mérimée, fidèle au rendez-vous, mourut 11 mois plus tard, en 1870. Eugénie fit bien acheter les terres mais ne pourra pas revenir non plus, la Commune ayant mis fin a son règne entre temps.

Le terrain est alors racheté par Auguste Parent. Riche passionné d’archéologie, ayant déjà hiverné à Hyères, il est séduit par la proximité des ruines d’Olbia et entreprend la construction d’un chateau fastueux. Les travaux se déroulent de 1872 à 1878, mais, la malchance s'acharne alors sur lui et très endetté, il finit par vendre.

La propriété passe aux mains de Edmond Magnier qui a fait fortune dans la presse et est devenu Maire de Hyères. Il fait remanier le château pour sa maîtresse, la belle Marguerite Raimbaud, dont il était éperdument amoureux. Tout fut mis en oeuvre pour le rendre digne de l'aimée : salles de réception grandioses. balcons et portes toujours marqués à ses initiales M. R. et, suprême folle, le boudoir favori de la belle dans la tour de la façade reçut une mosaïque que l'amant voulut unique au monde : 5.000 louis d'or formèrent un dallage rutilant que foulèrent les pieds légers de Marguerite. Pendant quelques mois, loin des contingences terrestres, les amants roulèrent d'heureux jours. Puis un matin, un homme vêtu de noir frappa à la porte sculptée de salamandres. C’était un huissier. Le Maire, ruiné par ses folles prodigalités et une suite de malchances en affaire s'était retrouvé en faillite. Expulsion. Il se suicida, elle mourut dans la misère.

Alors que les gens du coin commencent à reparler de la légende de la sorcière, un nouvel acheteur se présente en 1902 qui se moque bien de la soit disant malédiction. C'est quelqu'un de très différent de tous ceux que la Vieille n’avait jamais eu à combattre. Déjà c'est une femme, et d'autant plus redoutable pour la sorcière qu'elle porte sur la poitrine le Crucifix. Il s'agit de Jeanne Forestie alias Sœur Candide. Sœur Candide était une religieuse qui, ne désirant rien pour elle, rêvait de rendre à la santé de malheureux enfants malades et anémiés que la mort guettait déjà. Faisant appel à la charité publique, elle achète le château maudit dont personne ne veux et entreprend la construction d'un hôpital marin construit en bordure de mer permettant des soins par hydrothérapie. Il ouvre en 1903. Pendant les courts séjours qu'elle fait au château entre deux campagnes de quête, elle occupe la chambre au centre de la façade est, au-dessus de la porte sculptée, la chambre meme de Marguerite Raimbaud. La sainte succéde à la courtisane. Elle demande l’aumône inlassablement. Quelques salles sont déjà aménagées et les premiers enfants arrivent. Leurs forces qui reviennent, leurs joues qui rosissent, emplissent de joie la brave soeur. Parallèlement, pour financer ces soins et rendre possible son œuvre charitable, sœur Candide décide de créer une station thermale sur place où la riche clientèle serait accueillie dans un luxueux hôtel de 5 étages et de 130 chambres. L'hôtel sera accolé au château. La construction s’élève, mais les frais aussi, hélas, qui dépassent toute prévision.

En fait la démesure du projet revient au Docteur Petit qui dirige au départ le sanatorium pour enfant créé par Sœur Candice dans le Château. Le Dr Petit, très affairiste, a senti là un marché très lucratif. Pour lancer son grand projet personnel qu'il voulait juste à côté de San Salvadour, il a donc acheté plusieurs parcelles au début des années 1900 afin d'obtenir jusqu'à 64 Ha de propriété du Mont des Oiseaux. Grâce à une mécène, Mme Lebaudy et la captation de l'argent de la Loterie Nationale (encore une idée du Dr Petit), il réussit à financer la construction d'un sanatorium pour adultes associé à un luxueux Hôtel, destinné à recevoir les familles des patients aisés. Pour Petit, devenu complètement mégalomane, rien n'était assez beau, l'argent coulait à flots, venant de Mme Lebaudy et de la Loterie Nationale, d'où le côté un peu démesuré de certains détails de toutes ces constructions. L'ensemble a été réalisé par le grand architecte Abel Gléna, originaire de Menton. Ses constructions de l'époque, de Menton à Hyères, étaient dans le pur style flotentin. De grand palaces et hôtels de luxe commençaient à émerger de partout, de Nice à Menton, ainsi que sur Hyères, pour acceuillir une riche clientèle anglaise venant y chercher le luxe et le soleil lors de cures thermales. En 1910 le scandale du détournement de fond de la loterie éclate. Le docteur Petit se suicide et sœur Candide part en prison entre deux gendarmes. Le domaine est saisi. Hopital marin et Sanatoriums vont à la croix rouge et l'hotel San Salvadour est mis en vente.

En 1913, un hôtelier pense faire une brillante affaire en achetant à vil prix cet hôtel luxueux et idéalement situé face à la mer. Quelques aménagements intérieurs et ce fut bientôt l'hôtel le plus luxueux de la Côte d'Azur. Début 1914, les clients opulents affluent et notre homme se frotte les mains. Mais en Août 1914, c'est la guerre et avec elle vient la faillite totale de l’infortuné commercant. L'hôtel restera fermé jusqu'en 1922 avant de revenir à l'Etat.

Depuis 1922 c'est l'Assistance Publique qui gère San Salvadour. Et à partir de ce moment, est-ce crainte de l'Administration et de ses paperasses, toujours est-il que la sorcière cessa de se manifester. Mais la malédiction écartée de San Salvadour a semblé se reporter sur les maisons environnantes dont plusieurs ont depuis périclité lamentablement. Tel ce centre de vacances de 3 hectare, la Villa Jeanne, situé juste à l'Est du domaine de San Salvadour et fermé depuis la fin des années 70. Il hébergeait les enfants bénéficiant du programme de l'ODASEJ (Oeuvre d'Assistance Sociale à l'Enfance Juive). C'est incroyable que ce terrain n'ait pas été exploité ou revendu en 40 ans quand on connait la valeur foncière de l'endroit. Un bon endroit pour un peu d'Urbex... si vous n'avez pas peur d'y croiser la Vieille !

Exif Photo : Photo prise un 6 Juin à 15h55 - 18mm - Iso 200 - 1/180s à f/8

Exif Photo : Photo prise un 6 Juin à 16h36 - 35mm - Iso 400 - 1/90s à f/8

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