Explosion de la Poudrière de Lagoubran en 1899 (83)

Historique : Dans la nuit du 5 au 6 mars 1899, la poudrière de Lagoubran explosait, anéantissant son poste de garde et le village avoisinant. Des blocs, dont un de 200 kg, étaient projetés jusqu’à deux kilomètres. Cet événement tragique fera dans un premier temps cinquante cinq victimes identifiées. Selon "Le Petit Var", cette explosion provoqua "une flamme gigantesque", "un immense nuage de fumée noire et fétide" et "un bruit de tonnerre dont le vacarme sera perçu jusqu’à Nice" !

Si quelqu'un dispose d'une version plus lisible de cet article car je n'ai pas trouvé mieux... :-(

La poudrière impliquée dans l’explosion est la plus ancienne de l’Arsenal, construite sous Louis XIV et en partie refaite en 1883. Dans ses magasins, deux types de charges en usage à la fin du dix-neuvième siècle : l’antique "poudre noire" ou poudre à canon (environ 100 tonnes), et l’innovante "poudre B", dite poudre sans fumée, inventée 15 ans plus tôt par l’ingénieur Paul Vieille (environ 80 tonnes). Des substances non altérées et considérées stables par les analystes et la hiérarchie militaire de l'époque.

Le soucis c'est que cette poudrière qui avait été construite loin de toute agglomération a vue peu à peu des maisons s'élever dans son voisinage et le mal a été précisément de laisser bâtir dans une telle zone dangereuse. Seul un mur de pierre, qu'on voit parfaitement sur la gauche de l'image ci-dessous, sépare alors la zone militaire du village. La seconde carte postale permet de constater l'étendu des dégâts sur le domaine civil au lendemain de l'explosion...

Et aujourd'hui c'est toujours un même mur de pierre qui sépare le quartier de la zone militaire (Mais les explosifs ne sont plus stockés là...).

Au petit matin les gens découvrent la catastrophe. A deux kilomètres à la ronde, tout a été dévasté. Les maisons sont démolies, les arbres abattus, les champs complètement ravagés et recouverts de pierres. Des blocs d'un poids de cinquante kilogrammes sont tombés près du faubourg du Pont du Las distant de deux kilomètres. De l'autre côté de Toulon, au faubourg Saint Jean du Var, distant de sept kilomètres, des vitres ont été brisées, des portes enfoncées et le sol d'une bonne partie du faubourg a été recouvert d'une poussière noire.

Les travaux de déblaiement commencés à huit heures du matin par les soldats du 8ème d'infanterie de marine ont été poursuivis toute la journée, au milieu des difficultés que l'on devine, par les troupes de la garnison.

A trois heures de l'après-midi, on parlait de soixante-dix morts mais à la préfecture maritime, on croit que ce chiffre est exagéré (Effectivement le bilan définitif fait état de 55 décès). L'identité des morts, presque tous défigurés et horriblement mutilés, est des plus difficiles à établir. La catastrophe fait la une de tous les journaux.

Trois enquêtes seront diligentées. La première vise à établir les causes techniques de la catastrophe. Elle est déléguée à un militaire de haut rang, directeur de l’artillerie au ministère de la Marine. Résultats : l’explosion ne peut venir ni d’une imprudence des techniciens de la poudrière, ni d’une combustion spontanée ! La Grande muette, jamais responsable de quoi que ce soit, réfute ainsi toute responsabilité et émet l’hypothèse d’un acte criminel.

La seconde enquête est d’ordre judiciaire et confiée au préfet maritime. A l'inverse pour lui, ni responsabilité humaine ni acte criminel mais plutôt une combustion spontanée. Magnifique échange de patate chaude entre les différents services. Il faudra attendre 1911 et l'explosion du cuirassé "Liberté" pour que la Poudre B soit enfin officiellement incriminée.

Devant deux avis si contradictoires, force est de nommer une commission chargée de revenir sur l’origine du drame. Parmi les experts en faisant parti, on compte Paul Vieille, inventeur de la fameuse poudre B. Cette étude supplémentaire se termine sans conclusion affirmée malgré les témoignages notés pour la postérité d’un ouvrier et d’un garde, selon lesquels, "quelques mois avant le désastre, deux caisses contenant de la poudre B ont été noyées car elles dégageaient des vapeurs rougeâtres". Un rapport fut rédigé pour informer la hierrachie, mais rien ne fut fait...

La Poudre B : Mais qu'est ce que la poudre B ? Autrefois on chargeait les armes à feu avec de la poudre noire, un mélange de charbon, de soufre et de salpêtre. Le problème de la poudre noire, c'est qu'elle est "brisante", c’est-à-dire qu’elle explose brusquement, en développant d’un coup toute sa pression. Parfaite pour faire exploser un obus, elle l'est beaucoup moins pour une cartouche de fusil ou un canon car les pressions ne peuvent pas monter au-delà d’une certaine limite sous peine de détruire la bouche à feu. Le poids de la charge de poudre noire est donc étroitement limité, et la vitesse du projectile et donc sa portée pareillement.

On chercha donc à créer une poudre progressive, c’est-à-dire développant d’une façon moins instantanée les gaz qu’elle peut engendrer et les pressions qui en résultent. En 1884, M. Vieille trouve le moyen de donner au coton-poudre, matière pulvérulente, la cohésion nécessaire : la poudre B était créée. On s’aperçut en plus qu’elle ne faisait presque aucune fumée, avantage considérable qu’on n’avait pas cherché, mais qui permettait de dissimuler les troupes.

Mais les services d'artillerie se rendirent vite compte que la Poudre B se détériorait avec le temps et qu'elle pouvait alors prendre feu spontanément (Elle n'explosait pas à ce moment là mais pouvait déclancher un incendie). Ce petit défaut ne sembla pas rédibitoire car on parlait d'une détérioration après des années de stockage donc en 1890, le service des Poudres et Salpêtres croit sincèrement livrer à la marine des produits ayant déjà fait leur preuve avec l'artillerie de l'Armée de Terre et « susceptibles de résister sans altérations ni même abaissement de résistance aux conditions les plus dures de la conservation à bord ».

Ce qu'ils ignorent, c'est que le temps de détérioration est très fortement influencé par la chaleur, l'humidité et les vibrations. Correctement stockée au frais dans des boites en fer étanches dans les entrepôts souterrains des forts de l'armée de terre, tout s'est bien passé pendant des années mais sur un bateau les conditions de stockage n'ont rien à voir... Du coup, les stocks de poudre B de la Marine ayant voyagés en mer vont devenir instables beaucoup plus rapidement et sans qu'on puisse même établir un délais moyen car tout dépend des conditions météo qu'à connu sur le bateau (Chaleur, Humidité, Tempête...).

Avec le recul et le savoir moderne, on comprend bien aujourd'hui l'enchainement qui a conduit à cette catastrophe. Etait-elle évitable ? Oui ! En effet, il y avait déjà eu une suite d'incidents qui avaient amené à une certaine prudence quand à l'évolution de la poudre B de la Marine avec le temps. Une des règles était d'ailleurs de ne jamais stocker de poudre B "suspecte" (comprendre ayant déjà voyagée sur bateau) avec de la poudre noire. C'est cette règle qui a été enfreinte à Lagoubran. On avait accumulé dans la poudrière de Lagoubran une grande quantité de poudre B débarquée des navires de retour de Madagascar et un beau jour, cette poudre a prit feu spontanément. L'incident n'aurait pas eu grande importance si la poudre B eût été seule, car, pour devenir dangereuse, celle-ci doit être enflammée sous pression. Le problème c'est qu'il y avait aussi de la poudre noire. La poudre B s'enflamma seule, la poudre noire s'enflamma à son tour, explosa et projeta la poudrière dans les airs d'où elle retomba sur les habitations voisines...

Pour la petite histoire, lors du découpage des restes de l'épave du "Liberté" à Toulon à la fin des années 1950, des douilles intactes de poudre B de 164 mm ont été remontées par des scaphandriers. Ces douilles ont séché au soleil dans une embarcation et plusieurs se sont alors enflammées spontanément, heureusement sans conséquence, après 40 ans passés sous l'eau dans l'épave !

Mémorial : Etrangement il n'y a pas de mémorial de cette catastrophe. A priori, il en existait un dans le cimetière Central comme en témoigne cet extrait du discours du maire de Toulon de l'époque, M. Victor Micholet : "Nous-mêmes, fidèles à l'engagement pris par notre regretté prédécesseur, M. Pastoureau, nous avons voulu que les sommes restées libres de la souscription publiques, fussent consacrées à l'érection d'un monument public destiné à perpétuer parmi les générations futures l'effrayant tribut que paya à la mort la population toulonnaise dans la nuit du 5 au 6 mars 1899.". Ca mausolé de 4,50 mètres est introuvable aujourd'hui. L'explication la plus courante est qu'il aurait été détruit en 1944 par les bombardement à la libération (Il est exact que le cimetière central a été fortement impacté).

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